Quid des taux d'emprunt ?

22 Juin 2020 L&A Finance

Le taux d'intérêt se trouve parmi les variables macroéconomiques qui préoccupent le plus les acteurs économiques. Que ce soit au seins des entreprises, des banques, des administrations publiques… les évolutions de taux d’intérêt font l’objet d’une attention particulière en raison de leur lien avec la rentabilité des investissements, le prix des actifs financiers ou encore les taux de change.  

Néanmoins, il existe une multitude de taux d'intérêt : à court ou à long terme, qui diffèrent selon les typologies d'emprunteurs (organismes publics ou privés, grandes entreprises ou PME, ménages) mais aussi selon le canal utilisé (finance directe ou intermédiée).

Il est aujourd'hui admis que les taux courts sont fortement influencés par la politique monétaire visant à stabiliser les prix et l'activité. Chaque banque centrale contrôle un ou plusieurs taux d'intérêt, appelés taux « directeurs », sur le marché interbancaire. Elle intervient sur ces taux au jour le jour ou bien à échéances courte. C’est en partie ce mécanisme qui influence les taux de court terme, que ce soient les taux portés par les titres à court terme sur les marchés financiers ou les taux proposés par les banques.

Le débat quant aux taux longs est moins tranché. Certes, les taux à long terme dépendent indirectement de la politique monétaire à travers l'anticipation des politiques monétaires futures. Mais les taux longs peuvent aussi être tributaires de l’adéquation entre épargne et investissement.

Dans un premier temps nous illustrerons les mécanismes qui lient la politique monétaire aux taux de court terme. A la suite de cela nous tenterons d’expliquer de quelle façon sont déterminés les taux d’intérêt à long terme.  

Dans une deuxième partie on s’intéressera aux politiques monétaires post-crise et à leur impact sur les taux d’intérêt et sur l’économie réelle. On se focalisera sur les deux crise majeures du 21ème siècle, 2008 et 2020, dans le but de comparer la gestion par les institutions monétaires.

 

A - Politique monétaire et taux de court terme

A la différence des politiques budgétaires qui sont du ressort des Etats, la politique monétaire est définie par les institutions indépendantes que sont les banques centrales. En ce qui concerne l’Europe, la politique monétaire est mise en place par la Banque centrale européenne et s’applique dans l’ensemble des États membres de la zone euro. Elle est définie par le Conseil des Gouverneurs de la Banque centrale européenne, dont les Gouverneurs de chacune des Banques nationales (Banque de France..) sont membres. La politique monétaire de l’Eurosystème est mise en œuvre au sein de la zone euro par les banques centrales nationales de chacun des États membres. Par exemple, à ce titre, en tant que membre de l’Eurosystème, la Banque de France participe à son élaboration et contribue à sa mise en œuvre. Leurs missions diffèrent d’une institution à une autre, par exemple la banque centrale européenne à une mission de stabilité des prix dans la zone euro quand la mission e la FED est de maintenir la croissance. Pour satisfaire ses objectifs, la banque centrale dispose de plusieurs instruments. Ce sont l'ensemble des variables sur lesquels elle peut intervenir afin de modifier l'environnement monétaire. Cette liste d’outils comprend, les achats-ventes ainsi que les prises en pension de titres du marché monétaire et les taux d'intérêt directeurs.  

En temps normal, les taux d'intérêt directeur constituent le principaux instruments de la politique monétaire. Néanmoins, lors de la crise systémique de 2008, les banques centrales ont été amenées à mettre en place une nouvelle forme de politiques, ne portant non plus seulement sur le coût du crédit (le taux d'intérêt) mais aussi sur le volume de crédit (refinancement des banques…).

Pour comprendre l’action de la banque centrale sur les taux d’intérêt à court terme, il faut comprendre le mécanisme de la création monétaire. Ce sont les banques commerciales, et non la banque centrale, qui émettent l'essentiel de la monnaie en circulation dans une économie. Lorsqu'une banque commerciale accorde un crédit à un client, elle accroit la masse monétaire en circulation en créditant le compte de ce client d'un montant correspondant à la somme prêtée. A aucun moment cet argent crédité n’a été prélevé sur le compte courant de d’autres clients. Le prêt s’apparente donc à une création de monnaie pour l’économie.  

Mais lorsque de nombreux clients désirent simultanément utiliser l'argent disponiblesur leurs comptes, cela devient plus compliqué. Les banques disposent bien à leur actif de sommes équivalentes aux dépôts de leurs clients mais ces actifs sont souvent illiquides. En effet il n'est pas facile pour la banque de les revendre sur le marché pour se procurer la liquidité nécessaire pour répondre à la demande des clients. La banque a alors la possibilité d’emprunter cette liquidité auprès de la banque centrale ou bien auprès d'une autre banque. On dit que la banque se refinance. C’est la banque centrale qui définie le taux auquel elle accepte de refinancer les banques commerciales et impose la mise en gage d’actifs financiers de bonne qualité pendant toute la durée du prêt. Ces actifs financiers sont appelés le collatéral.  

En fixant le taux d'intérêt auquel elle accepte de prête aux banques commerciales, la banque centrale oriente le taux d'intérêt à court terme auquel les banques acceptent de se prêter entre elles. En effet les banques commerciales accordent des prêts de liquidité à leurs semblables à un taux forcement inférieur à celui proposer par la banque centrale. Sans quoi aucune banque n’accepterait ce taux et se tournerait vers la banque centrale pour son refinancement. De la même façon, la banque centrale décide du taux de « dépôt ». C’est le taux auquel elle rémunère les liquidités des banques commerciales. En effet, les banques commerciales ont la possibilité de déposer leurs liquidités sur un compte à la banque centrale si elle estiment que l’injecter dans l’économie réelle n’est pas rentable ou trop risqué. Ce taux de dépôt constitue le taux plancher auquel les banques peuvent se prêter entre elles. En deçà de ce taux, les banques préfèrent déposer leurs liquidités sur leur compte à la banque centrale.

Ainsi le taux auquel les banques se prêtent entre elles à court terme, et donc se refinancent, évolue dans un corridor borné par les taux des facilités de prêt et de dépôt. On comprend mieux pourquoi les taux de la banque centrale sont aussi appelés « taux directeurs ».  

B - La détermination des taux de long terme

Plusieurs théories économiques concernant la détermination du taux d'intérêt à long terme existent. La première, d'inspiration keynésienne, est la théorie des anticipations. Les taux d'intérêt à long terme sont égaux à la moyenne des taux d'intérêt à court terme anticipés. La seconde théorie, d'inspiration néoclassique, stipule que le taux d'intérêt est le prix qui permet d'égaliser l'épargne et l’investissement.

Généralement, les liens entre taux longs et courts découlent du postula suivant : un investisseur est indifférent à placer aujourd'hui une somme pour dix ans à un taux d'intérêt connu, le taux de long terme, ou placer cette même somme pour un an et renouveler l’opération pendant les neuf années suivantes au taux qui prévaudra chaque année. La condition est que les rendements anticipés de ces deux placements soient égaux. Mais en raison de l’incertitude, de la volatilité des taux anticipés et de la préférence pour les placements liquides et moins risqués, les investisseurs qui prêtent à long terme réclament une prime et donc une taux d’intérêt à long terme supérieur à la moyenne des taux de court terme.

On en déduit donc que, le taux long étant une moyenne des taux courts anticipés, il est plus stable que le taux court. De plus, une variation du taux de court terme impacte le taux de long terme uniquement si elle est perçue comme durable.

Bien évidemment les taux anticipés dépendent des annoncent de la banque centrale mais aussi de nombreux facteurs économiques tels que, l’inflation, le chômage, la croissance économique… C’est notamment pour cela que les banques centrales sont très méticuleuses quant à leur communication et à leur image, consciente que chaque décision prête à interprétation et peut potentiellement modifier les taux de long terme.

C - La crise de 2008 et la mise en place de nouvelles politiques monétaires 

La crise de 2008 a été une crise systémique en raison des processus de globalisation financière qui a complètement modifié l’ordre financier international. Trouvant son origine dans la bulle immobilière américaine et le marché des crédits hypothécaires risqués (crédits subprimes), cette crise a ensuite touché successivement les institutions financières américaines, européennes et asiatiques pour finalement atteindreles marchés boursiers. Aucun compartiment du marché financier n’y à échappé, la crise finissant par se propager au sein de l’ensemble des économies réelles de la planète. Face à son ampleur, sa durée et ses effets dévastateurs, les banques centrales et les États à du mettre en place des politiques publiques originales pour tenter de l’endiguer. Ce fut notamment le cas avec l’apparition de politiques monétaires dites « non conventionnelles ».

Jusque là les taux d'intérêt à très court terme étaient les principaux instruments de la politique monétaire. Mais face à cette crise, les banques centrales ont été amenées à mettre en œuvre des politiques bien plus ambitieuses dans le but de soutenir l’économie et éviter une récession mondiale en orienter positivement les conditions de financement du secteur privé.

La première stratégie a été la diminution des taux directeurs. Le 8 octobre 2008, plusieurs banques centrales décidèrent conjointement de diminuer leurs principaux taux directeurs pour atteindre des niveaux records. Cette politique s’accentua dans les années suivantes en fixant les taux directeurs proche, voir en deçà, de zéro. En 2014, la BCE a fixé à un niveau négatif le taux de dépôt afin d’inciter les banques à prêter leurs liquidités plutôt que de les conserver en réserve à la banque centrale. C’est la politique de quantitative easing.

Une deuxième stratégie consiste à encourager les banques à prêter aux entreprises et aux ménages en élargissant la liste des collatéraux acceptés pour le refinancement des banques commerciales. En temps que préteur en dernier recours, les banques centrales ont assoupli leurs condition de refinancement en stabiliser le prix de certains actifs financiers et ainsi assurant leur liquidité et donc celles des banques commerciales. Les banques centrales fournirent des liquidités aux banques commerciales et aux autres institutions financières en prenant en pension dans leurs portefeuilles des actifs de plus en plus risqués. La BCE concentra ses aides sur les banques, afin de diminuer leur coût de refinancement et d’augmenter les volumes de liquidité alloués, pendant que la Fed et la Banque d’Angleterre décidaient de venir également en aide à d’autres acteurs financiers pour rétablir la liquidité sur les marchés d’actifs financiers. C’est la politique de qualitative easing 

La séquence de politique monétaire de la période encadrée par la crise de 2008 et celle de 2020 s’est déroulée en trois étapes : baisse des taux directeurs des Banques centrales jusqu’à ce que soit atteint le seuil de 0 ; passage à une politique de rachat massif de titres au secteur privé par la Banque centrale, le qualitative et qualitative easing ; enfin, devant la difficulté d’éviter la déflation, baisse des taux d’intérêt nominaux à des niveaux inférieurs à 0%. Le passage à des taux négatifs à suscité et suscite encore de nombreuses interrogations quant à la façon dont il impacts l’économie. Cette situation est perçue par un grand nombre comme une anomalie de marché car elle implique que des agents acceptent de payer pour effectuer un dépôt, ou pour prêter des fonds auprès d’un autre agent.  

Au delà de ce coût direct, les taux directeurs négatifs modifient l’ensemble des taux, et peuvent avoir des répercussion sur la profitabilité, et la pérennité, d’institutions financières dont l’activité repose en grande partie sur la transformation de maturités. C’est-à-dire d’emprunter court et de prêter long. Du fait de leur activité de collecte de dépôts et d’octroi de crédits, la profitabilité des banques dépend en grande partie de l’écart entre le taux auquel elles rémunèrent les dépôts de ses clients et les taux auxquels elles prêtent. Or en imposant une politique monétaire de baisse des taux trop agressive, les banques centrales peuvent provoquer un aplatissement de la courbe des taux (courbe qui présente les taux à différentes échéance - celle ci est généralement croissante) et ainsi une réduction de la marge nette d’intérêt et donc de la profitabilité de l’activité de transformation de maturité opérée par les banques.

En ce qui concerne les coûts d’emprunt des entreprises et des ménages, il semblerait que les taux négatifs aient contribué à à abaisser les coûts d’emprunt des entreprises et des ménages. Dans toute la zone euro, les prêts aux entreprises sont devenus moins coûteux depuis que les taux négatifs ont été adoptés. Néanmoins, il est difficile de déterminer quelle part de la baisse est induite par les taux négatifs, et quelle part est liée aux autres programmes de la BCE, comme ses opérations de refinancement ciblées à long terme (TLTROs) et programmes d’achat d’actifs (PSPP). De plus les taux négatifs semblent avoir conduit à une augmentation des prêts aux entreprises et aux ménages dans la zone euro.  

Ainsi, l’adoption d’un taux d’intérêt négatif par certaines banques centrales a suscité de nombreuses réactions et soulève de nombreuses questions sur la conduite de la politique monétaire. Cette décision marque surtout la volonté des banques centrales d’accroître le caractère expansionniste de leur politique monétaire. Le risque majeur reste celui concernant l’effet négatif sur la profitabilité des banques et ses répercutions sur l’offre de crédit.  

D - Les politiques monétaires post crise Covid-19 

Le Covid-19 représente une des pires catastrophes économiques des dernières décennies. Bien que les mauvaises nouvelles se soient succédées sur le plan sanitaire, social et économique il semblerait que certains perçoivent le bout du tunnel. La multiplication des mesures de soutien à travers le monde, notamment en Europe, porte ses fruits et les places financières continuent à regarder vers le haut. La Banque centrale européenne a annoncé le jeudi 19 mars un plan d’achat d’actifs de 750 milliards d’euros. Par comparaison, lors de la crise de 2008, son bilan avait augmenté de 500 milliards entre le 31 décembre 2007 et le 31 décembre 2008. De plus, la Commission européenne a suspendu les contraintes pesant sur les finances publiques des États membres.La réactivité des institutions européennes à permis d'éviter le pire même si la zone euro sort de cette crise extrêmement fragilisée. Cette politique expansionniste, bien que nécessaire, ne peut durer indéfiniment sans craintes de nuire à la zone Euro.  

Avant la crise, l'endettement des entreprises et des Etats s'était considérablement alourdi et la rentabilité du secteur bancaire était faible. La détérioration de la situation des entreprises et une possible chute des prix de l'immobilier, risque de fragiliser les établissements financiers de quoi sérieusement entraver leur capacité à soutenir la reprise. Surtout que la BCE compte sur le système financier pour continuer à soutenir la reprise économique. En effet la BCE a déjà mis en place un plan d'achat d'urgence lié à la pandémie de 750 milliards d'euros pour des pays déjà extrêmement endettés, les mesures de soutien et la chute des rentrées fiscales vont faire bondir le ratio de dette publique. Mais face à cette crise sans précédent, la politique monétaire de la BCE, d’un laxisme jamais vu et prise en urgence sans regards sur ses conséquences à moyen et long terme, ne cause aucune polémique ni controverse.

On manque encore de recul sur les effets de la politique monétaire enclenchée à la suite de la crise du Covid-19, mais on peut au moins avancer que celle-ci va avoir de gros impact sur les grandes variables économiques, dont les taux d’intérêt…

 

Hugo Val et Anne Duranton


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